L’enseignement
en France
De la
naissance du quartier latin à la
IIIème République
(E.Joyaux)
Quelques jalons
pour baliser la voie
Préambule.
L’exposé qui suit
rappelle que le principe universel de «
l’enseignement pour tous » qui a cours
en France n’est pas le produit d’une
génération spontanée mais celui d’une
évolution complexe, indispensable à
connaître, et seule pertinente comme
donnée de référence pour une étude de
l’enseignement en Algérie. La nécessité
de créer « une instruction publique »
pour les enfants ne s’est pas imposée en
une fois, sous une seule forme, à tous
les Français d’une époque déterminée.
En France l’histoire de l’école se
confond avec celle d’un peuple d’abord
enraciné dans la terre et dans les
traditions mais, au fil des siècles, le
rapport entre foi et raison n’a cessé
d’évoluer. A partir du XVIIIème siècle
c’est la confiance dans les capacités de
l’homme à libérer le monde de tous ses
maux, à fonder le bonheur à partir des
seules ressources de la raison qui
l’emporte. Après la Révolution le débat
n’est pas complètement clos. Pourtant à
la fin du XIXème siècle, la IIIème
République en vient à créer une morale
laïque qui sera enseignée par les
maîtres d’écoles pour se superposer ou
se substituer aux commandements divins.
En terre d’Islam, au contraire, Dieu
demeurait «la clé de voûte au sommet de
toutes les généalogies ». Là était le
modèle immuable, indépassable duquel il
ne fallait pas se détourner, auquel il
fallait toujours revenir. Là se trouvait
donc l’objet de l’enseignement. Les
autres connaissances susceptibles
d’éloigner les élèves du sacré s’en
trouvaient généralement écartées.
Il faudra donc, pour construire l’école
de France en Algérie, que les idées
cheminent durant 130 ans, au travers
d’autres réalités que celles qui avaient
conduit à la naissance de « l’Education
Nationale » en Métropole, et surtout
dans un contexte où le rapport de
l’homme et du sacré était inversé.
******
L'Ecole
dite « de Jules Ferry », née dans les
années 1880, a formé des générations
d’élèves durant le XXème siècle.
Aujourd’hui et d’une façon générale, c’est
avec l’école de la IIIème République en
surplomb que l’on approche l’histoire de
l’enseignement. Or ce que les Guizot,
Montalembert, Jean Jaurès, Péguy… ont dit
de l’instruction publique, et les débats à
la Chambre, montreraient que la
construction voulue par Jules Ferry n’a
pas surgi de nulle part, ou d’un grand
vide !
Faut-il rappeler qu’en 1830, au moment de
l’expédition contre la Régence d’Alger, un
demi siècle sépare encore les Français de
l’école laïque, gratuite et obligatoire.
Un survol rapide des époques précédentes
permettra de montrer la permanence d’un
courant qui, fort de la confiance dans les
progrès techniques et les découvertes
qu’il réalisait, fit une place de plus en
plus grande à l’homme, par rapport à Dieu.
Un courant qui s’exprima dans
l’enseignement et qui plaçait la France en
situation inverse de l’Afrique du Nord au
moment où elle allait s’y implanter.
Le début du
XIIème siècle…Foi et raison, déjà
!
Il marqua
l’essor des villes et des échanges, un
développement du savoir, un renouveau de
la vie intellectuelle en France et dans
l’Occident, dont l’origine était le plus
souvent située à Paris, alors en plein
essor.
Les écoles étaient liées à des « chapitres
» (réunion de moines ou de chanoines).
Elles dépendaient d’autorités
ecclésiastiques et se trouvaient
généralement en ville.
A Paris, les écoles de la Cathédrale Notre
Dame (Monument gothique édifié à partir de
1163 sur l’île de la Cité) avaient un
rayonnement particulier.
On y enseignait la grammaire (le latin),
la rhétorique, la dialectique (la logique
ou art du raisonnement, Aristote), enfin
la théologie.
Dès cette époque, des philosophes et
théologiens comme Abélard tentèrent de
concilier foi et raison en opposition avec
la culture monastique traditionnelle. Il
s’agissait donc là de deux attitudes
différentes vis-à-vis de la religion
révélée.
Une dizaine de nouvelles écoles se
créèrent alors sur la rive gauche de la
Seine, qui s’affranchirent en partie de la
tutelle épiscopale. Il y régnait une
grande liberté d’échanges qui entraînait
également débats, polémiques et
concurrence. C’était le futur quartier
latin.
Toutefois il ne s’agissait pas de la
création d’un enseignement véritablement
laïc mais plutôt de l’origine du rôle
d’enseignement qui se développera, par la
suite, au sein de l’Église.
La Renaissance
« O
siècle, les esprits se réveillent, les
études fleurissent ; il fait bon de
vivre »
En 1450, à
Mayence, Gutenberg et Fust ont mis au
point le procédé d’impression à caractères
mobiles. En 1455, la Bible fut le premier
ouvrage imprimé.
L’essor européen déboucha sur le courant
humaniste qui s’est déployé du XIVème au
XVIème siècle. Il concerna l’Italie puis
la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la
Hollande. On s’appliquait alors à remonter
aux sources de la civilisation européenne
en revenant aux textes, langues et arts
anciens, grecs et romains que les peuples
d’Europe ont en commun.
L’homme devenait le sujet d’une étude
qui reconnaissait la permanence de son
identité au travers des âges, au travers
de la diversité et des contrastes des
individus.
Goût de la vie, confiance dans la mission
d’homme, plein épanouissement (corps et
âme, équilibre physique et spirituel,
éveil d’une conscience vivante) ont
constitué la nature et le but de
l’humanisme qui se défie des absolus et
des règles figées.
C’est pourquoi les textes de Montaigne et
de Rabelais qui touchent à l’universel
tout en définissant le contenu de
l’enseignement et la façon d’enseigner
ont, en France, traversé les temps : «
Un esprit sain dans un corps sain », «
Une tête bien faite vaut mieux qu’une
tête bien pleine », « Instruire c’est
forger le jugement ». Ce sont
autant de recommandations, vieilles de
quatre cents ans, qui ont alimenté la
réflexion de générations de maîtres et
d’élèves jusqu’à nos jours.
La pensée de ces individualités riches,
fortes et libres, gardait et transmettait
l’héritage reçu des siècles tout en
rajustant ses valeurs, car le monde
changeait.
Christophe Colomb, Vasco de Gama,
Magellan s’aventuraient sur les mers et
découvraient de nouvelles terres.
Les traductions de la Bible en langue
vulgaire et l’impression des textes de
Luther et de Calvin jouèrent un grand rôle
dans la diffusion des idées nouvelles. On
soumettait les textes, y compris la Bible,
à l’étude de la raison (« le libre examen
») : ce sera l’origine de la Réforme.
Les guerres de religion sortiront du conflit
entre l’orthodoxie représentée par la
Sorbonne et la nouvelle foi.
Dans le domaine des sciences, des arts et
des techniques, les choses aussi changeaient
: (découverte de l’imprimerie, mais aussi
progrès de la médecine, réussites
architecturales des châteaux de la Loire,
par exemple…)
Parallèlement à cette effervescence
intellectuelle, le monde rural voyait le
développement, très modeste, des écoles qui
dépendaient des religieux.
Un exemple :
Louhans en Bresse.
Dans les archives de la région on trouve les
comptes des communes et les sommes allouées
pour la location des bâtiments d’écoles (et
collèges) et le logement du « recteur »
En 1513, les échevins de Louhans accordaient
3 francs pour « le louaige de lescoulle ». «
Le recteur de lescoulle » était un prêtre.
Mais bientôt les laïcs commencèrent à
disputer aux religieux l’instruction dont
ces derniers avaient eu le monopole jusque
là.
Lorsque le maître était un érudit, les
élèves apprenaient la lecture, l’écriture,
les premières notions de calcul mais aussi «
les premiers éléments des belles lettres »,
le latin et même le grec. Les établissements
qui s’appelaient « escholle » prenaient
parfois le nom de collège à la fin du XVIème
siècle.
Le
recteur, sous la surveillance du clergé,
et dépendant de l’évêque du diocèse,
pouvait être choisi parmi les habitants de
le communauté dont il recevait une petite
somme, ainsi qu’une redevance des élèves.
Il assistait également le curé dans les
actes de son ministère, (enterrements,
rédaction des textes, balayage de
l’église…)
L’aménagement des classes fut d’abord très
rudimentaire. Il arrivait souvent que les
élèves se tiennent debout, ou assis sur de
l’herbe ou de la paille, avant que les
conditions ne s’améliorent au cours du
XVIIème siècle.
Notons que, dans l’exemple évoqué, les
filles n’étaient pas exclues de
l’enseignement, ainsi qu’en témoigne « un
traité » (contrat) passé entre les
administrateurs de la ville et un «
recteur » (maître). La rétribution
scolaire est fixée « pour chaque
enfant de quelque sexe qu’il soit, à 6
sols par mois, excepté pour les clercs
et enfants de chœur desservant l’église,
à condition de balayer les classes deux
fois par semaines »
On créé les « petites écoles » pour
les plus jeunes ; elles étaient surtout
fréquentées par les enfants du peuple, en
petit nombre. Elles étaient tenues par des
« maîtres écrivains » en «
maison particulière ». La ville
passait contrat avec eux pour apprendre
aux « escolliers » de moins de 7 ans la
lecture, l’écriture et l’arithmétique.
Le développement de l’instruction au cœur
de la France, et dans les différentes
provinces fut lié aux aléas de l’histoire.
Les périodes difficiles comme les guerres
de religions, les conflits aux frontières,
les troubles de la Fronde, ne le
favorisèrent évidemment pas, mais les
périodes de prospérité virent le nombre
d’élèves augmenter.
On obtint alors davantage d’argent du «
corps municipal » pour payer les maîtres,
aménager les locaux et même organiser la
distribution des prix, chauffer les salles
de classe. Les congrégations religieuses
(particulièrement les Jésuites et les
Oratoriens) se concurrençaient comme les
collèges.
Le XVIIème
siècle ou le « grand siècle »
On tenait
Louis XIV pour « le roi le plus puissant
de la Chrétienté ». Il voulut aussi être
l’artisan de l’unité nationale et s’appuya
sur la religion pour la réaliser. Il
combattit impitoyablement « l’hérésie »
des protestants qui, a ses yeux, la
menaçait.
L’école joua son rôle dans cette défense
de l’unité comme en témoigne l’extrait
suivant rédigé par un huguenot: «
Comme ma mère était du nombre de ceux
qui n‘avait pas voulu abjurer, nous
fûmes obligés, mon aîné et moi, d’aller
à l école de l’un de ces missionnaires
auxquels le roi avait assigné un salaire
que les parents, suivant leurs moyens,
étaient contraints de payer»
De ce XVIIème siècle nous connaissons les
fables de Lafontaine, les pièces de
Corneille, de Racine, de Molière qui
avaient été représentées devant Louis XIV.
Le « Culte des muses », la recherche de
la grandeur, mais aussi de la mesure et
de l’harmonie, constituaient la règle
pour être reconnu comme un « honnête
homme ». On retrouvait ces mêmes
exigences dans l’art, l’écriture, le
théâtre et même le dessin des jardins en
un temps où culminait la civilisation
européenne.
Le XVIIIème siècle
: l’esprit philosophique.
Il avait
ses racines dans la Renaissance, et même
au-delà.
Parmi les
philosophes dont on dit qu’ils ont préparé
la révolution de 1789, Jean-Jacques
Rousseau mettait en question l’héritage du
grand siècle et la société telle qu’elle
fonctionnait, l’inégalité entre les
hommes, la civilisation elle-même.
Dans son ouvrage « L’Émile » il
présentait sa conception d’une nouvelle
pédagogie qui ne prévoyait cependant pas
l’école pour tous. « Le pauvre,
écrivait-il, n’a pas besoin d’éducation
; celle de son état est forcée, il ne
saurait en avoir d’autres… ». C’est
une idée qu’il partageait avec Diderot et
Voltaire : ces penseurs qui conseillaient
aussi les souverains de l’Europe.
1789 : la
Révolution.
Parmi les
révolutionnaires certains veulent aller
plus loin : Pour rompre avec le passé,
créer un homme nouveau et régénérer un
peuple il faut s’emparer de l’éducation de
l’enfant dès son plus jeune age. L’enseignement
sera le moyen de façonner cet homme
neuf, débarrassé des croyances et des
superstitions.
D’autres comme Condorcet ont un sens
exigeant du respect des consciences.
Il craint une dérive totalitaire qui
conduirait l’état à instaurer « une
espèce de religion politique ». Il
se méfie de la passion de l’égalité qui
s’est emparé des révolutionnaires et veut
que chaque citoyen reçoive des
connaissances conformément « à
l’étendue et à la durée de sa mémoire, à
la facilité et à la précision de son
intelligence. ».
Pour donner à chacun, et même dans les
coins de France les plus reculés, la
possibilité de recevoir les connaissances
selon ses facultés, l’organisation
géographique de l’instruction était le
premier problème. Il se posait en même
temps que la conception d’une pyramide
d’établissements à répartir sur tout le
territoire français. Il restait encore à
déterminer le contenu de ces différents
niveaux d’études!
Trouver dans les villages des locaux pour
y accueillir des élèves ne représentait
pas une difficulté insurmontable. Par
ailleurs, depuis Louis XIV, le réseau
routier et le service de la poste et des
relais avaient grandement été améliorés.
Conformément aux idéaux de la République,
les manuels scolaires rédigés à Paris
contribueraient à la transmission des
savoirs jusque dans les plus petites
communes de province.
L’enseignement élémentaire devait
rendre le monde intelligible aux élèves
et les préparer à l’action, d’où
l’importance de la logique et de la
morale. Selon le rêve d’unité et
d’universalité des révolutionnaires, les
principes devaient dépendre de la raison
et non des croyances religieuses ou des
opinions.
Durant cette période de grande agitation
sur le plan des idées, l’enseignement
jusque là largement assuré par les
religieux ou sous leur direction, était
profondément désorganisé. Les choses
s’aggravant avec le temps, la nécessité de
former des instituteurs s’imposa.
Le 30 octobre 1794, la Convention vota
le projet de l’Ecole Normale présenté
par Lakanal.
Pour les instituteurs de l’Ecole Normale
il s’agira d’enseigner à leur tour à leurs
élèves « la morale et de former le
cœur des jeunes républicains à la
pratique des vertus publiques et privées
» ; leur apprendre « à appliquer à
l’enseignement de la lecture, de
l’écriture, des premiers éléments de
calcul, de la géométrie pratique, de
l’histoire et de la grammaire française,
les méthodes tracées dans les livres
élémentaires adoptées par la convention
nationale et publiées par ses ordres. »
Mais, face aux réalités, l’ambition des
révolutionnaires d’éduquer le peuple tout
entier s’était restreinte.
La constitution de l’an III prévoyait
seulement que la République pourvoirait
aux frais de logement des instituteurs
préposés aux écoles qui existaient. La
création de nouveaux établissements
était laissée à l’initiative des
autorités locales. Les instituteurs
seraient rétribués par leurs élèves, les
administrations pouvant exempter les
plus pauvres de cette charge.
En province, les idées nouvelles
cheminaient, y compris dans les campagnes,
parfois grâce aux colporteurs mais aussi
aux livres, aux bibliothèques.
|
Les prêtres
eux-mêmes voyaient parfois dans
l’instruction donnée aux paysans une
chance de trouver un emploi lorsque les
conditions de vie trop dures poussaient
les gens loin de chez eux : « C’est,
nous dira-t-on, un défaut de
l’enseignement actuel d’élargir le
cercle des études des paysans. Saturer
votre jeunesse de science, c’est se
donner une génération de petits maîtres.
L’inconvénient est grave nous le
sentons. Comme nous n’ignorons
point que le fruit de l’arbre de la
science fait monter le vertige à
plusieurs, nous voudrions qu’une sage
direction fût donnée à l’enseignement….
Ceux qui … s’imaginaient que nos
crêtes de montagnes étaient la limite du
monde, pouvaient bien se passer de
savoir autre chose que la manière de
cultiver la terre…Mais le mouvement nous
emporte malgré nous, nous jette dans un
pays, au milieu d’un monde inconnu.
Apprenons à nous maintenir en équilibre.
Ce n’est donc pas à tort que tous
convoitent la science, et le soin qui
reste à prendre, c’est de ne procurer
que celle qui est en rapport avec nos
besoins » Citation de l’Abbé
Jacques Condret.
De leur côté les Protestants s’étaient
montrés plutôt favorables aux principes de
la Révolution. Ils avaient crée de
nombreuses écoles dans le Dauphiné. Deux «
écoles modèles » formaient les
instituteurs protestants. Celle de Mens
que Guizot transforma en Ecole Normale en
1834 rayonna sur tout le sud de la France.
La formation pédagogique y était poussée,
et la méthode était celle de
l’enseignement mutuel.
1830 : « La
République escamotée »
Après les
trois jours d’insurrection, le 30 juillet,
les députés libéraux réunis à la chambre
portaient au pouvoir le Duc d’Orléans
(fils de Philippe-Egalité, lieutenant
général du Royaume)
Le 9 août, Louis Philippe« le roi des
barricades » prêtait serment à la « charte
constitutionnelle »
Guizot faisait parti du petit groupe que
l’on a appelé les doctrinaires. C’était un
des hommes importants du nouveau régime
qu’il avait contribué à installer.
Historien, professeur à la Sorbonne, il
considérait que la France vivait une sorte
d’aboutissement de l’histoire où serait
conciliée la tradition monarchique et les
idées révolutionnaires, l’ordre et les
libertés.
Comme Thiers, Guizot était pour l’ordre et
le progrès.
« Les bourgeois voltairiens du National
(journal de Thiers) » allaient obtenir
que le catholicisme ne soit plus
religion d’état. L’égalité religieuse
devait être garantie. Guizot était
chargé de la reconquête du système
scolaire.
La loi Guizot du 28 juin 1833:«
c’est la charte de l’instruction
primaire ».« Propager les lumières
c’est assurer l’empire et la durée de
la monarchie constitutionnelle »
affirmait-il.
Selon cette loi, chaque commune devait
offrir un asile à l’instruction primaire
et les départements devaient créer une
Ecole Normale. Un maître était promis à
chaque école. L’accent fut alors mis sur
la nécessaire élévation d’esprit du
maître, sur l’importance de l’instruction
morale des élèves qui allait de pair avec
le rétablissement de l’autorité de la
religion dans l’âme des enfants. L’école
avait à réaliser la synthèse de la foi et
des lumières. Là où l’enseignement
primaire prospère: « une pensée
religieuse s’est unie dans ceux qui le
répandent, au goût des lumières et de
l’instruction » « Je vous
recommande d’entretenir avec les curés
et les pasteurs les meilleurs
relations » dit Guizot aux
instituteurs.
La place laissée à la religion suscite les
réactions des députés anticléricaux.
Le statut du 27 février 1835 règle le
statut des inspecteurs. Guizot leur
recommande d’adapter leur fonction aux
réalités qu’ils rencontrent, en
particulier aux différences entre la ville
et la campagne.
Guizot écarte la politique à l’école et
exalte la mission du maître.
«
L’instruction primaire serait non
seulement compromise mais pervertie le
jour où les passions politiques
essayeraient d’y porter la main. Elle
est essentiellement, comme la religion,
étrangère à toute intervention de ce
genre et uniquement dévouée au
développement de la moralité et au
maintien de l’ordre social »
« Ne perdez jamais de vue que, dans
cette grande tentative pour fonder
universellement et effectivement
l’éducation populaire, le succès
dépend essentiellement de la moralité
des maîtres et de la discipline des
écoles »
« Quel avenir il préparerait à la
population au sein de laquelle il vit
si, par son exemple ou par des discours
malveillants, il excitait chez les
enfants cette disposition à tout
méconnaître, à tout insulter, qui peut
devenir dans un autre âge l’instrument
de l’immoralité et quelquefois de
l’anarchie »
En 1836, il
déclarait aux élèves qui entraient à
l’École Normale :
« Votre avenir est plein de
grandeur….Vous irez, au sortir de cette
école, enseigner dans nos établissements
d’instruction publique ce que vous
apprenez aujourd’hui. Et non seulement
vous l’enseignerez, mais vous
l’enseignerez au nom de l’État,
institués par lui, et tenant de lui
votre mission ».
Ce principe : « Il peut seul fonder
l’éducation vraiment nationale,
l’instruction vraiment publique, et en
même temps il se concilie
merveilleusement avec les droits de la
liberté. »
Les enseignants voyaient leur mission
s’accroître ; l’expansion de la vie
intellectuelle devait être leur oeuvre; «
c’est l’amour pur, la culture libre de
la vérité et de la science »
Mais l’instruction restait facultative
et payante sauf pour les plus pauvres.
Pour des penseurs comme Guizot le
développement de l’instruction était
indissociable du concept de civilisation
dont il fut l’un des premiers à avoir
l’intuition, mais ils ne lui prêtèrent pas
la forme dogmatique que lui donneront les
hommes de la IIIème République.
Dans la population française l’instruction
était progressivement devenue
indispensable à l’activité marchande, à
l’exercice de certaines charges, au
progrès dans l’échelle sociale.
Dans certaines régions déshéritées (et
contrairement aux idées reçues concernant
l’ignorance qui aurait été générale en
milieu rural) apprendre à lire, écrire et
compter fut le moyen de se préparer à
changer d’activité, à faire face à l’exode
que la pauvreté rendait inévitable. Pour
d’autres au contraire, fréquenter l’école
poussait au déracinement, au reniement de
la foi et des traditions. De nombreuses
familles qui restaient liés aux travaux de
la terre y voyaient une perte de temps et
d’énergie.
Au XIXème siècle, dans les villes qui se
développaient en même temps que le progrès
industriel et comptaient de plus en plus
d’ouvriers aux conditions de vie très
difficiles, l’enseignement ne concerna pas
non plus tout le monde, comme en témoigne
un projet de réglementation daté de 1840.
Il s’agissait de lutter contre les abus en
limitant à huit heures la journée de
travail des enfants de huit à douze ans.
Ces enfants là ne fréquentaient pas la
classe !
******
En France, la
nécessité de signer un acte administratif,
d’exprimer des doléances, de faire du
commerce, avait conduit les familles à
envoyer les enfants à l’école. La place
toujours plus grande accordée à l’homme,
son nouveau rapport à Dieu, le
développement des arts et des techniques
conditionnèrent l’expansion géographique
de l’enseignement, son organisation, son
contenu et celui des manuels. Les
programmes de formation des maîtres
s’élaborèrent à partir d’une réflexion à
fondements philosophiques et des exigences
de la réalité polarisées par l’idée de
progrès jusqu’à la fin de la première
moitié du XXème siècle.
******
|