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1931 Un couple
d'instituteurs en Kabylie
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Madame Juliette G... Elle évoque
la carrière de sa mère (1915) puis
la sienne. Elle décrit
l’enseignement dans une Classe
Préparatoire d’Initiation :
(CPI) en 1958
Cet enseignement est conforme aux
dispositions du texte officiel du 7
septembre 1949 portant sur la
création d’un Cours Préparatoire
d’Initiation en Algérie.
Le Recteur de l’époque l’évoquait
ainsi :
«...Classe typiquement
algérienne. Depuis la création
plus que centenaire des premières
écoles indigènes, des générations
d’instituteurs se sont attachés à
ce problème si particulier :
éduquer complètement des enfants
dans une langue différente de leur
langue
maternelle. C’est donc le
fruit d’une longue expérience
collective, d’un patient labeur
d’ajustement qui nous est proposé
aujourd’hui ».
On pourra rapprocher l’adaptation de
la méthode d’enseignement décrite
dans ce témoignage, du plan d’études
de 1898, contemporain des «
pionniers d’Afrique » (cf. extrait
en fin de dossier). |
« Mes grands parents se sont
installés à Alger en 1900, venant de
la région de Nérac d’où ils étaient
originaires. Ma mère avait
alors sept ans.
Elle a fait ses études primaires et
secondaires à Alger puis est rentrée
sur concours à l’école normale de
Miliana.
L’uniforme d’internat, une longue
blouse noire les faisait surnommer «
les corbeaux » lors des promenades
en ville et en groupe.
Diplômée en 1915, elle est nommée à
Alger en remplacement d’un
instituteur appelé sous les
drapeaux, puis à Rouina, dans les
montagnes du Zaccar.
Ecole de
Lamartine (Chéliff) >
A 21 ans elle se retrouve seule.
L’école est gardée par un indigène
qui, le soir, s’enveloppait dans son
burnous et couchait devant sa porte.
Elle me disait qu’elle se
nourrissait d’œufs que lui
apportaient ses élèves.
En 1916 elle est nommée à Lamartine,
puis à Thiers, près de Palestro,
puis à Draria.
En 1922 elle est nommée à Birkadem,
en 1929 à Kouba, puis à Guyotville »
« Guyotville avait été créé
en 1845 par des pêcheurs maltais et
italiens qui s’étaient ensuite
reconvertis dans la culture des
primeurs. Beaucoup de ses habitants
étaient occupés à ramasser les
tomates, courgettes, haricots verts
pour les expédier en métropole. Les
Kabyles étaient venus travailler si
bien qu’ils avaient construit un
village.
Dans un premier temps, seuls les
garçons venaient à l’école. Je me
rappelle alors du combat mené par ma
mère pour obtenir des tenues
propres, la chasse aux poux, à la
gale.
Mais son combat pour obtenir que les
filles elles aussi viennent en
classe, lui tenait particulièrement
à cœur. Elle savait que si elle
décidait un seul père musulman à
envoyer sa fille à l’école, tous les
autres y viendraient.
< Guyotville
Elle a fait le siège, si l’on peut
dire, d’un marchand de légumes ayant
une certaine importance sur la place
et elle y est arrivée. Les filles
sont venues grossir les rangs de ses
élèves.
Elle fut aidée dans ses efforts par
la femme d’un médecin du village qui
s’occupait de la Croix Rouge. Cela
devait aboutir à la création d’un
ouvroir pour les plus grandes, qui
souvent étaient mariées avant la fin
de l’âge scolaire. Elles y ont
appris à coudre, à broder et surtout
les rudiments d’hygiène corporels et
alimentaires.... J’ai suivi moi-même
une formation à l’école ménagère
agricole du Jardin d’Essai, à Alger.
Avec ma sœur, nous avons
été nommées institutrices en
octobre 1958, dans le village de
Fromentin...
Situé dans les Monts du Dahra, à
environ 25 kms d’Orléansville, ce
village avait subi les effets du
tremblement de terre de septembre
1954.
Nous exercions dans bâtiment
préfabriqué comportant deux classes
attenantes et un préau avec WC et
lavabos. Nous avons dû beaucoup
discuter avec le maire pour obtenir
un complément de matériel et une
clôture.
Village de
Fromentin >>
Le premier jour l’appel des noms fut
la cause d’une anecdote amusante.
Deux frères avaient la même date de
naissance, l’un grand, l’autre tout
jeune. Nous avons fini par
comprendre qu’ils avaient été
déclarés en mairie le même jour,
l’aîné étant né trois ans
auparavant. Ce qui est assez
fréquent dans le bled.
UNE
JOURNEE DE CLASSE
En entrant : inspection de propreté
des mains et retour aux lavabos si
nécessaire. Les enfants ont assez
vite compris qu’ils devaient arriver
propres. Avant la classe, ils
passaient dans le village avec leur
bidon (grande boite de conserve avec
une anse de ficelle) pour aller
chercher de l’eau à la fontaine
publique.
Parfois nous devions les soigner ;
l’infirmière de passage nous
laissait une pommade à leur mettre
chaque matin, dans les yeux, en
prévention du trachome.
Il nous fallait agir aussi contre
les poux par l’emploi de D.T.T. Nos
enfants avaient compris que cela
était efficace et réclamaient : «
Madame, la poudre !.. ; La poudre !
» lorsqu’ils sentaient que c’était
urgent.
Ma sœur a eu à soigner la pelade :
maladie qui fait tomber les cheveux.
Première leçon en CPI
(cours préparatoire d’initiation).
La leçon de langage.
Apprendre à dire son nom, le nom de
son camarade : « Voici Ali,
voici Amar »
Apprendre à dire : « Bonjour
Madame ! »
Apprendre le nom des objets
environnants, cela ne se fait pas en
un seul jour, il faut y revenir
souvent.
Ensuite on fait l’action.
Exemple : « je me lève ».
Chaque enfant est invité,
individuellement, à faire l’action
et à répéter : « Je me lève ».
Puis l’action sera faite à deux ou à
plusieurs : « Nous nous levons
».
Un enfant parlant à un autre « Tu
te lèves » en montrant du
doigt.
De la même façon nous arrivions à la
forme négative, interrogative.
L’instituteur a apporté en classe
des objets afin de mettre en scène
la leçon de langage selon le
principe: « On fait des actions et
on dit ce qu’on fait ».
Ici : « Nous avons préparé du
café » et « je vais pêcher
du poisson»
La leçon de lecture.
Elle est liée au langage ou se fait
en partant d’un objet, d’un dessin
au tableau. Quand le mot est bien
enregistré, on en fait l’analyse en
le découpant en syllabe, souvent en
frappant dans les mains. Puis on
isole une syllabe, puis la lettre à
étudier.
Pour le calcul c’était
plus facile ; les enfants étaient
doués. La difficulté était
d’apprendre à compter en français
mais cela allait assez vite pour
certains.
Pour l’écriture
l’ardoise rendait bien service...
Mais là aussi le geste précédait le
graphisme : on formait la lettre
dans le vide en veillant bien au
sens de torsion de la main.
L’ardoise servait aussi en
application du procédé dit de
« Lamartinière ». Au signal,
l’enfant levait son ardoise où il
avait écrit la réponse à la question
posée et l’on pouvait rapidement
contrôler si tous avaient bien
appris la leçon.
Restent les activités
manuelles, le chant, la
récitation. Cela se pratiquait comme
partout...
La deuxième classe recevait les
enfants de culture française et ceux
ayant appris le français à l’école
pour suivre les cours du CE1 au CM2.
*********
PLAN
D’ETUDES DE 1898 (Extrait)
« Le sens des mots ne s’apprend
pas par la traduction de l’arabe
ou du Kabyle en français. Beaucoup
d’objets, d’instruments, d’outils,
d’inventions, de perfectionnements
que les Arabes ignorent et qu’il
est pourtant utile de leur faire
connaître, ne peuvent être
désignés qu’en français. De plus
une langue apprise par la
traduction, c’est-à-dire par
l’intermédiaire d’une autre
langue, n’est jamais bien sue et
ne peut jamais être employée
qu’avec un travail de mémoire qui
double la difficulté . La langue
française sera enseignée aux
jeunes indigènes directement, en
présence des choses mêmes. On leur
montre un objet et on leur en dit
le nom ; on leur fait faire une
action et on prononce le verbe qui
l’exprime ; puis on leur fait
répéter ce terme individuellement
et collectivement, jusqu’à ce
qu’il soit intimement lié dans
leur esprit à l’objet ou à
l’action qu’il représente...
On procèdera avec ordre. Les
premiers mots seront ceux qui
désignent l’élève, le maître, les
actions qu’ils font, la classe,
les meubles, les parties du corps,
les mouvements, les vêtements, les
couleurs, les objets et les
exercices scolaires, la maison
d’école.... On passe ensuite aux
choses du dehors, la cour, les
jeux, le jardin, les plantes, les
arbres, les fruits, les travaux...
puis les repas, les travaux des
champs, les métiers, les
voyages... »
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