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Eugène Scheer, que tous les
indigènes appelèrent bientôt « Sidi Schir », était
né à Birkadem à 12 kilomètres d’Alger, le 31
janvier 1855. Ses parents, venus d’Alsace, avaient
installé un petit commerce dans le village
naissant. Sa famille y résidait encore au moment
de sa mort le 4 janvier 1893. Il y est enterré.
Eugène était le septième de neuf enfants dont
plusieurs, ainsi que le père, moururent très
jeunes. « Jean-Eugène est à la fois un
Alsacien et un Algérien, un Alsacien transformé
par le sol et le climat algérien ».
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De 1871 à 1874 il
fréquente l’école normale
d’Alger. Ensuite il est adjoint à
Koléa, puis à Douéra. Le 12 Août 1876 on le nomme
titulaire à Fort-National où il prend la direction
de l’école communale. A ce poste Eugène Scheer
cumule les fonctions d’instituteur, de secrétaire de
mairie, d’agent voyer, d’architecte. |
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Fort National.
Cette place forte (Fort Napoléon) avait été fondée
en 1857, par le Maréchal Randon, sur « une des
croupes les plus hautes de la Grande Kabylie » là où
se tenait le marché de la belliqueuse tribu des Beni
Raten. |
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Des colons
créèrent un village au pied des remparts de la place
de guerre, et près du village indigène. L’école
construite pour les fils de colons accueillit aussi
les fils des Beni Raten. Mais l’insurrection de 1870
fut fatale à cette première implantation. Elle
laissa des antagonismes profonds au sein des
populations indigènes et européennes. En 1876, à
l’arrivée d’ Eugène Scheer, l’ancien cercle
militaire devint commune
mixte. |
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« Il se persuada qu’en dépit de
cette insurrection furieuse, dont les traces
étaient flagrantes, c’était encore de ces
montagnards qu’il serait le plus facile, entre
toutes les populations africaines de faire un
jour des amis de la France » |
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Cinq ans après,
preuve est faite qu’Eugène Scheer a réussi à vaincre
les oppositions, à rapprocher les points de vue, à
redonner son élan à l‘école anéantie par
l’insurrection de 1870. L’homme se dessine au
travers de son action dont on trouve la description
dans les textes de ses supérieurs et de ses amis. «
Il y avait en lui un admirable mélange de
décision, d’initiative hardie et en même temps de
déférence envers l’autorité supérieure ». « Sa
bravoure allait jusqu’à la témérité ». |
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« Un autre jour, tout seul avec
moi en plein Sahara, au milieu d’une bande de
nomades, dont beaucoup avaient des fusils, comme
l’un d’eux répondait impoliment à une des ses
questions, il donna de l’éperon à son cheval,
écarta les autres, se planta en face du
coupable, lui arracha sa matraque et lui fit une
telle semonce que l’homme, devant tous ses
compagnons, balbutia des excuses et lui baisa
les mains. « C’est bien, lui dit Scheer, mais
une autre fois souviens-toi de ce que c’est
qu’un Français ». |
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En 1879 Jules
Ferry, arrivé au Ministère de l’instruction
publique, se préoccupe des écoles indigènes. Les
résultats obtenus par Eugène Scheer lui valent
d’être chargé de l’organisation des écoles de
Kabylie par arrêté du 23/08/1881. Sa
connaissance de la géographique, de la
religion, des mœurs, lui permet de négocier avec les
Kabyles, durant des heures, l’achat d’un lopin de
terre pour y construire l’école. Elle lui permet de
tenir tête aux religieux qui ne veulent pas d’une
école française pour concurrencer la leur car sa
maîtrise du Coran et des Kanouns surpasse parfois la
leur. |
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« A force de le voir et de le
revoir, chevauchant par leurs sentiers de
précipices, insoucieux du soleil, de la neige,
de la pluie, sobre et frugal, aussi habitué
qu’eux-mêmes aux privations ; à force de
l’entendre parlant leur langue, citant des
versets du livre saint, émaillant son discours
de leurs dictons et proverbes, chantant leurs
mélodies, leur apprenant leur histoire et leurs
légendes, ils avaient fini par l’adopter. Ils
l’avaient éprouvé sincère, esclave de sa parole.
Dans les montagnes du Djurdjura, son nom était
une espèce d’anîa qui ouvre toutes les portes. » |
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Son action. |
Il se fait
architecte et entrepreneur. Il dessine des plans et
des aménagements d’école. Mais pour construire en
Kabylie, il faut amener des matériaux là où il n’y a
pas de routes, en passant les oueds, en escaladant
les sentiers de chèvres. Comme partout, il faut
tenir des délais, contenir les augmentations de
coût, trouver des crédits. |
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Formation des maîtres. |
Il faut former des
maîtres pour enseigner dans ces villages coupés de
contacts avec le reste du pays. Durant une année il
se charge de leur enseigner la langue Kabyle comme
l’attestent les exercices de thèmes. |
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« L’hiver quand toutes les
montagnes sont couvertes de neige, que les
communications deviennent impossibles, les
Français de France étaient encore plus
mélancoliques que les Français d’Algérie.
Jamais, quand ils avaient sollicité si ardemment
leur envoi dans la colonie, ils ne s’étaient
imaginés que la Kabylie pût avoir un aspect
aussi sauvage. Des terrasses de Fort-National,
la vue s’étendait au nord sur la plaine de sable
où vagabonde le Sebaou, et par delà, toujours et
toujours, des montagnes ; du côté sud,
par-dessus des ravins sans fond, des précipices,
des chemins vertigineux, des crêtes abruptes, le
regard se heurtait comme à une muraille
colossale barrant l’horizon, à la masse du
Djurdjura, en hiver éblouissante comme une
Jungfrau africaine, en été rigide et nue,
toujours effrayante . » « …. Quand le moment fut
venu de prendre une décision c’est-à-dire
d’aller occuper de nouveaux postes, trois des
recrues de France sur les quatre demandèrent à
retourner au pays natal. Scheer prévoyait ces
désertions : il y avait paré en faisant appel à
ses camarades algériens (1) » (A.Rambaud) (1)
Algériens : à l’époque Européens nés en Algérie.
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Adapter les méthodes. |
Il rédige une méthode de lecture
et d’écriture adaptée aux enfants du bled mais
également un ensemble de leçons
de morale que l’on trouvera en « Archives ». Les
grands principes de respect, de travail, de courage
et d’honnêteté enseignés alors dans toutes les
écoles de France, y sont repris, mais très
étroitement liées à la vie quotidienne des jeunes
Kabyles. |
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1884 - Le
Recteur Jeanmaire est nommé à Alger. Il se passionne
pour les écoles indigènes. Le 28/10/84, E. Scheer
est nommé inspecteur des écoles indigènes. Ce n’est
qu’en 1892, peu de temps avant sa mort, qu’il sera
titulaire de son poste. «Mais Scheer ne
s’inquiéta jamais beaucoup du titre, et sa
fonction c’est lui qui la créa» C’est un
inspecteur exigeant qui ne s’en laisse pas compter.
« Voyez-vous à dos de
cheval, à dos de mulet, à dos de méhari, cet
infatigable pèlerin qui chemine sans trêve vers
un but invisible, qui s’arrête en plein soleil
pour déjeuner d’une boite de sardines, qui
couche au hasard de la route, sous une tente,
dans un gourbi, au besoin sur la terre nue ?
C’est Eugène Scheer en tournée d’inspection. Au
seuil d’une école perdue dans quelque oasis du
Sud, l’instituteur stupéfait voit s’agenouiller
un dromadaire, et celui qui descend de la selle
touareg, c’est son inspecteur. Sur un piton de
Kabylie ou dans un recoin de l’Aurès, un autre
instituteur aperçoit un mulet qui dévale par un
sentier casse-cou : celui qui saute du bât de
bois, c’est son inspecteur ». Le 11
janvier 1893 son épouse écrit à Alfred RAMBAUD pour
lui apprendre la mort brutale de son mari âgé de 38
ans. |
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Il rentrait d’une
éprouvante tournée d’inspection des écoles qui avait
duré cinquante-cinq jours dans le bled et « d’une
chevauchée de 1000 kms dans le Sahara dont 300 à
méhari » qui se prolongea par plusieurs jours de
campement dans l’Aurès où le bord des rivières
commençait à geler. La jeune femme se trouve alors
très démunie. Ses proches, comme Alfred Rambaud,
disent leur amertume devant l’ingratitude française.
Voilà un grand service
public destiné à accomplir la transformation de
l’Afrique française, un enseignement que Scheer
a maintenu de sa volonté tenace parmi toutes les
fluctuations de la politique et de
l’administration. Il lui a tracé ses grandes
lignes ; il a contribué pour sa grande part à le
doter de son domaine de son matériel, de son
organisation, de sa méthode et de ses
programmes, de ses premiers livres, de son
personnel enseignant tant européen qu’indigène.
Il lui a donné une foi et une loi, soufflé une
âme. Il a fait cela sans autre titre que celui
d’instituteur chargé d’une mission, puis
d’inspecteur en dehors des cadres normaux. Et
cet homme dont « l’œuvre est devenue celle de la
France » qui lui a dévoué son activité, sa
fortune, sa vie même, en qui il y eut à la fois
du savant, de l’homme d’état et du héros,…. On
se trouve impuissant aujourd’hui, de par la loi,
à garantir le sort de sa femme et de ses deux
petites filles… » |
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Monument à
E.Scheer (Birkadem) |
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